LE PROTOCOLE - RECRUES
NUMERO DEUX
L'analyste de la Corporation Zarathoustra
Numéro deux - L'analyste - Roman "LE PROTOCOLE" |
« Numéro deux détestait que l’on mette sa parole en cause. S’il communiquait une information, avançait un argument, c’est qu’il était sûr de son fait. Tout ce qu’il disait, avait été au préalable pesé, réfléchi, vérifié. Sa vie entière était ainsi gérée, ses choix, ses décisions, ses actes, tout était systématiquement analysé, disséqué avant de poser une conclusion. Une force intellectuelle, mais une faiblesse sociale. Cette attitude irrépressible déteignait sur ses comportements. Elle faisait de lui un être étrange, à part, apprécié par certains, exclus ou moqué par d’autres. Nombre de ses professeurs à l’école, puis à l’université, avaient pris pour de l’arrogance ce qui n’était en réalité qu’un attachement compulsif à la vérité. Numéro deux pointait du doigt les erreurs, celles de ses fréquentations, autant que celles de ses patrons, insensible aux égards dus à la hiérarchie, à l’autorité ou aux convenances. La vérité primait et c’était une loi absolue. Peu importait qu’on le prenne en grippe s’il avait raison. Il s’exprimait dans un langage soutenu. Le mot juste à l’emplacement exact inféodait la portée de l’argument. L’orthographe, châtrée par l’avènement du sms et de la commande vocale, devait être restituée : la partition qui sublime la mélodie.
Il avait compris, à force d’observation, la place que tenait l’apparence dans la société. « L’image » ou la preuve par neuf : un garçon propre, bien habillé était plus attirant, plus recommandable qu’un garçon sale en guenilles. Le beau, le propre, le bien, équivalaient au 1, le sale, le laid, le mal, au 0. L’appréhension de l’environnement par l’humain se basait sur des critères simplistes, des jugements à l’emporte-pièce, alors si l’humanité tenait tant à se laisser berner par le futile, alors elle en prendrait pour son compte ! De là l’attention particulière qu’il consacrait à sa tenue…
Mais les choses n’avaient pas toujours été aussi limpides pour numéro deux. A l’école primaire, lorsque les interactions interindividuelles avaient commencé à se clarifier, il avait d’abord cru que tous les enfants raisonnaient, réagissaient comme lui. Puis il avait réalisé que non. Subitement, les masques étaient tombés : ces êtres autour, étaient pareils dehors mais autrement dedans. S’il ne voulait pas demeurer seul, rejeté par ces extra-terrestres, il allait devoir décrypter, assimiler leurs codes.
Méthodiquement, il s’était attelé à la tâche. Il avait relevé, catégorisé, testé les situations, échafaudé des stratégies d’intégration. Au début il aurait tout concédé pour se faire accepter, mais déçu par le résultat, il avait finalement établi un compromis entre ses convictions et ce qu’il était prêt à lâcher, au nom du politiquement correct. Il avait même ajouté une jauge, qui lui permettait d’ajuster son seuil de tolérance en fonction des besoins, si une demoiselle lui plaisait par exemple. Jusqu’à un certain point. Un jour, empêtré dans les affres de la séduction amoureuse, il avait déclaré à sa mère impuissante : « personne ne veut de moi, parce que je suis différent », différent au sens de « handicapé ». Les filles l’avaient mené par le bout du nez, elles s’étaient servies de lui, parfaitement conscientes des blessures qu’elles lui infligeaient sans pitié. Un miroir aux alouettes qui n’en valait pas la souffrance. Il s’était endurci, durci tout court : il était comme il était, anormal peut-être, mais il ne travestirait plus jamais sa personnalité, si singulière soit-elle, pour les atouts mensongers d’une donzelle.
En filigrane, il avait conservé de ses confrontations malheureuses avec le camp adverse, un mépris ouvert et une haine sourde des socio-conformes. »
« Dans son jardin clandestin, à l’abri des officiels et de sa réalité professionnelle, deux cultivait un talent développé depuis l’enfance pour les jeux en ligne, en particulier le prestigieux « Legendary Quest ». A trente-trois ans, malgré le peu de loisirs dont il disposait, il parvenait grâce à ses capacités analytiques et son habileté hors du commun, à maintenir son avatar au premier rang mondial de sa catégorie : les druides changeforme, spé « farouche ». A l’instar de son personnage virtuel, le très sérieux membre de la Corporation Zarathoustra se changeait le soir en gros chat bleu, sous le pseudo déjanté d’« Ultrapintade ». »