Contes et légendes d’Auvergne
Le papier argentin
La légende du papier argentin |
3ème partie
Il est amusant de constater que cet homme
qui ne possédait rien, d’autre que sa masure et son âne, ne désirait rien, d’autre
que sa vie fort remplie mais paisible ma foi, se mit à couver les caprices les
plus farfelus.
D’abord il trouva que sa couche était bien
pauvrette et se débrouilla pour tracer, au prix de gros efforts, un semblant de
lit à baldaquin, sur un tout petit bout de papier, afin d’en épargner autant
d’emplacements futurs, qu’il aurait de souhaits à exaucer…
Puis il trouva que la soupe était bien
clairette et se mit, tant bien que mal, à dessiner du lard et des saucisses…
Repus, reposé à souhait, puisqu’il ne
concevait plus, à présent qu’il avait de l’argent, de quitter le lit avant des
tierces avancées, il pensa que tout de même, il méritait de s’offrir une ferme,
une vraie, digne des plus grosses métairies du canton. Il se demanda alors s’il
serait plus judicieux d’acheter le travail des constructeurs avec ses sous, ou
de tenter de dessiner, aussi clairement qu’il le pourrait, la demeure de ses
rêves, sur le papier…
Puis la vanité lui tournant les sangs, il
se sentit piqué de l’irrésistible envie d’en remontrer à ces jean-foutres de la
vallée, ceux-là même qui lui jetaient railleries et crachats au visage, lorsqu’il
descendait au village, deux fois l’an…
Sauf que construire une ferme de cette
taille prendrait des mois, alors que le papier lui, s’acquitterait de la tâche
en une seule nuit…
Il résolut donc de demander au papier le
bâti, tandis qu’il chargerait les meilleurs artisans de la vallée, les plus
onéreux, de lui confectionner des rideaux, des salamandres et toutes ces
joliesses qui faisaient si riche. Après tout, si ces fioritures prenaient du
temps, ce n’était point grave, puisqu’elles ne serviraient à rien, qu’à lui
donner prétexte à promener sa fortune, sous le nez des saloperies qui l’avaient
tant méprisé…
C’est là que ses délires s’emballèrent.
Tout y passa : des bijoux qu’il ne porterait jamais, aux domestiques pour
s’occuper de Modeste, car il se fatiguait maintenant, de lui donner son foin
quotidien…
Et à mesure qu’il faisait bombance, qu’il
encombrait ses armoires de soieries orientales, il se découvrit une ribambelle
d’amis, de conseillers de bonnes manières, toujours prêts à lui recommander les
chausses à la dernière mode, ou le bon mot, qu’il placerait lors de sa
prochaine réception. Tout ce joli monde grouillait autour de lui, et même si
parfois cette agitation futile et tapageuse l’agaçait, il se disait que sa vie
devait à présent ressembler à celle d’un Duc et que c’était bien ainsi.
Dehors, Modeste nostalgique de sa sérénité
passée, tentait de survivre à l’écart, triste et ennuyé de son maître absent.
Un soir qu’il s’était retrouvé seul,
finalement soulagé que le calme revienne, Antonin méditait. Il avait devant lui
un petit morceau de papier, un peu jauni, pas plus grand qu’un sou…
– Bientôt il n’en restera
plus, songea-t-il. J’aurais dû me montrer plus économe… Que me valait-il de
nourrir tous ces gens, quand eux me laissaient crever de faim sans sourciller, autrefois
? Ah ! La bête que je suis ! Le vaniteux !
Et
pris d’un sentiment de rage, il congédia brutalement les jouisseurs qui
profitaient de ses largesses.
Pendant
des mois il se raconta du fond des chaumières qu’il vécut en reclus, emmailloté
dans ses gilets de laine mangés aux mites, car il refusait de
« gaspiller » les monceaux de bûches entassés dans sa remise. Il
avait tellement restreint son train de vie, par peur de manquer, que les
denrées commencèrent à se gâter, abandonnées dans les garde-mangers, les bijoux
et chandeliers, tantôt lustrés et chatoyants ternirent et la poussière tomba,
plongeant les souvenirs luxueux, dans un sommeil oublieux…
Un
soir que l’hiver s’était installé, rude et glacé, on frappa à la porte. Antonin
qui ne s’attendait plus à recevoir de visite, ni n’en souhaitait d’ailleurs,
écarta précautionneusement le rideau, pour ne pas se faire voir et aperçu le
colporteur, qui lui avait rendu visite l’année passée.
– Si je lui ouvre,
pensa-t-il, il sera content de trouver logis et me redonnera de ce papier qui
me fait tant défaut…
Ravi
de sa bonne idée, il s’apprêtait à l’accueillir quand il se ravisa :
– Ah ! Mais si je
lui ouvre, il voudra profiter de ma fortune, comme tous les autres et me
plumera jusqu’au dernier sou ! Assurément, il aura su ma réputation au
village et se sera dit quel parti il pouvait en tirer ! Ah, le
traitre ! Mais Antonin n’est pas un idiot !
– Passe ton chemin !
finit-il par crier de derrière la porte. Il n’y a rien pour toi ici !
Calmement,
d’une voix profonde et douce, le colporteur répondit :
– La charité t’aura donc
quitté toi aussi ! Comme c’est regrettable…
Et
l’homme passa son chemin.
Antonin
se félicita, content d’avoir échappé au piège. Il s’endormit ce soir du sommeil
du juste…
Le
lendemain, il s’éveilla, frigorifié, aux petites heures du matin. Etonné de
cette sensation qu’il ne connaissait plus, il se frotta vigoureusement les yeux
et regarda autour de lui : plus rien, que sa vieille paillasse et sa
pauvre masure au-dessus de sa tête. Tout avait disparu. Avait-il donc
rêvé ? Soudain il s’écria :
–
Modeste ! Nom di Diou !
Il sortit comme un fou et courut à
l’emplacement, où il se souvenait avoir vu son âne pour la dernière fois. La
bride, usée comme tout le reste, pendait à terre, sans point d’âne à l’autre
bout…
–
Mon Dieu qu’ai-je fait ? Dans ma vanité, ma stupidité, j’ai laissé crever
mon âne… mon seul ami… Me voilà bien malheureux à présent ! Ah, comme
j’aurais aimé ne jamais connaître ce maudit papier !!
A ces mots le colporteur surgit d’un
buisson :
–
Crois-tu vraiment ce que tu dis ?
Antonin, surpris et incrédule
répliqua :
–
Je vous avais dit que ces choses n’étaient pas pour moi, que je ne voulais pas
y toucher à vot’ papier, qu’il était pas fait pour moi !
–
Peut-être, cependant c’est toi et toi seul, qui as dessiné dessus…
–
Sans doute et je suis bien puni de l’avoir fait ! Comme je regrette
d’avoir été si bête et si méchant !
–
Pourtant il existe une solution…
Intrigué le paysan tendit l’oreille :
–
Laquelle ? Ne me faites pas languir ! Ah, que ne donnerais-je point
pour que tout redevienne comme avant !
–
C’est bien là la question… Que serais-tu prêt à donner ?
« Donner », oh, comme il
n’aimait plus ce mot !
– Bah dame ! Quèque vous demandez ?
–
Oh, mais je ne demande rien. Je ne demande jamais rien, en fait. Il me suffit de laisser parler la
concupiscence des gens, ajouta-t-il pour lui-même, leur mesquinerie, leur jalousie, tous ces charmants défauts, si
utiles à ma cause…
–
Mais alors quoi ?
–
C’est bien simple, il te suffit de dessiner ton âne, sur ce bout de papier
qu’il te reste, avec ton sang…
–
Jamais ! Jamais je ne toucherai de nouveau à ce papier de malheur !
–
Comme tu voudras, conclut simplement le marchand, qui disparut en trois
enjambées, persuadé que le paysan le rappellerait bientôt.
Triste et dépité, Antonin regagna le
logis. Assis sur son banc, il tira machinalement de sa poche le petit bout de papier
qui y était resté et le jeta aussitôt avec horreur dans le feu.
Le ventre vide il se coucha ce
soir-là :
–
A quoi bon lutter ? se dit-il, maintenant que je ne serai plus heureux…
Le matin suivant, le brouillard
s’était levé. La montagne était belle sous le soleil et Antonin se remit au
travail. Les anciennes habitudes ont la dent dure et c’est bien ainsi. Alors
qu’il ramassait des genêts pour réparer son toit, il crut entendre un hennissement.
–
Voilà que je deviens fou à présent : je crois entend’ mon âne !
De nouveau le hennissement. Cette
fois Antonin leva le nez des fourrés : en contre-bas un âne, un âne qui
lui avait tant manqué trottinait…
– Grand Dieu, Modeste ! C’est-y qu’ce
serait toi ?
Et comme s’il comprenait, l’âne
hocha la tête. Dès lors, tous les colporteurs du monde pourraient bien se
présenter, il jura à Modeste, son unique et véritable ami, que jamais, au grand
jamais, il ne toucherait encore une quelconque de leurs marchandises et aussi, qu’il
y regarderait à deux fois, avant d’inviter un inconnu en son logis.
– Charité bien ordonnée…commence par
soi-même ! conclut-il.
Par quel miracle Modeste avait-il
survécu ? Au fond cela n’avait guère d’importance. Aujourd’hui ils étaient
ensemble. Et c’était bien ainsi.
En vérité, fatigué du remue-ménage,
Modeste avait consciencieusement rongé sa corde et s’était refugié dans une
grange abandonnée, sur l’autre versant de la montagne. Une grange
providentielle, où il restait suffisamment de foin, pour nourrir un modeste
âne…
Fin