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Contes et légendes d'Auvergne : Le papier argentin 3ème partie


Contes et légendes d’Auvergne


Le papier argentin


Les diableries d'un colporteur en Auvergne racontées au cours de la veillée d'hiver
La légende du papier argentin

3ème partie

Il est amusant de constater que cet homme qui ne possédait rien, d’autre que sa masure et son âne, ne désirait rien, d’autre que sa vie fort remplie mais paisible ma foi, se mit à couver les caprices les plus farfelus.

D’abord il trouva que sa couche était bien pauvrette et se débrouilla pour tracer, au prix de gros efforts, un semblant de lit à baldaquin, sur un tout petit bout de papier, afin d’en épargner autant d’emplacements futurs, qu’il aurait de souhaits à exaucer…
Puis il trouva que la soupe était bien clairette et se mit, tant bien que mal, à dessiner du lard et des saucisses…

Repus, reposé à souhait, puisqu’il ne concevait plus, à présent qu’il avait de l’argent, de quitter le lit avant des tierces avancées, il pensa que tout de même, il méritait de s’offrir une ferme, une vraie, digne des plus grosses métairies du canton. Il se demanda alors s’il serait plus judicieux d’acheter le travail des constructeurs avec ses sous, ou de tenter de dessiner, aussi clairement qu’il le pourrait, la demeure de ses rêves, sur le papier…

Puis la vanité lui tournant les sangs, il se sentit piqué de l’irrésistible envie d’en remontrer à ces jean-foutres de la vallée, ceux-là même qui lui jetaient railleries et crachats au visage, lorsqu’il descendait au village, deux fois l’an…

Sauf que construire une ferme de cette taille prendrait des mois, alors que le papier lui, s’acquitterait de la tâche en une seule nuit…
Il résolut donc de demander au papier le bâti, tandis qu’il chargerait les meilleurs artisans de la vallée, les plus onéreux, de lui confectionner des rideaux, des salamandres et toutes ces joliesses qui faisaient si riche. Après tout, si ces fioritures prenaient du temps, ce n’était point grave, puisqu’elles ne serviraient à rien, qu’à lui donner prétexte à promener sa fortune, sous le nez des saloperies qui l’avaient tant méprisé…

C’est là que ses délires s’emballèrent. Tout y passa : des bijoux qu’il ne porterait jamais, aux domestiques pour s’occuper de Modeste, car il se fatiguait maintenant, de lui donner son foin quotidien…

Et à mesure qu’il faisait bombance, qu’il encombrait ses armoires de soieries orientales, il se découvrit une ribambelle d’amis, de conseillers de bonnes manières, toujours prêts à lui recommander les chausses à la dernière mode, ou le bon mot, qu’il placerait lors de sa prochaine réception. Tout ce joli monde grouillait autour de lui, et même si parfois cette agitation futile et tapageuse l’agaçait, il se disait que sa vie devait à présent ressembler à celle d’un Duc et que c’était bien ainsi.

Dehors, Modeste nostalgique de sa sérénité passée, tentait de survivre à l’écart, triste et ennuyé de son maître absent.

Un soir qu’il s’était retrouvé seul, finalement soulagé que le calme revienne, Antonin méditait. Il avait devant lui un petit morceau de papier, un peu jauni, pas plus grand qu’un sou…

– Bientôt il n’en restera plus, songea-t-il. J’aurais dû me montrer plus économe… Que me valait-il de nourrir tous ces gens, quand eux me laissaient crever de faim sans sourciller, autrefois ? Ah ! La bête que je suis ! Le vaniteux !

Et pris d’un sentiment de rage, il congédia brutalement les jouisseurs qui profitaient de ses largesses.

Pendant des mois il se raconta du fond des chaumières qu’il vécut en reclus, emmailloté dans ses gilets de laine mangés aux mites, car il refusait de « gaspiller » les monceaux de bûches entassés dans sa remise. Il avait tellement restreint son train de vie, par peur de manquer, que les denrées commencèrent à se gâter, abandonnées dans les garde-mangers, les bijoux et chandeliers, tantôt lustrés et chatoyants ternirent et la poussière tomba, plongeant les souvenirs luxueux, dans un sommeil oublieux…

Un soir que l’hiver s’était installé, rude et glacé, on frappa à la porte. Antonin qui ne s’attendait plus à recevoir de visite, ni n’en souhaitait d’ailleurs, écarta précautionneusement le rideau, pour ne pas se faire voir et aperçu le colporteur, qui lui avait rendu visite l’année passée.

– Si je lui ouvre, pensa-t-il, il sera content de trouver logis et me redonnera de ce papier qui me fait tant défaut…
Ravi de sa bonne idée, il s’apprêtait à l’accueillir quand il se ravisa :
– Ah ! Mais si je lui ouvre, il voudra profiter de ma fortune, comme tous les autres et me plumera jusqu’au dernier sou ! Assurément, il aura su ma réputation au village et se sera dit quel parti il pouvait en tirer ! Ah, le traitre ! Mais Antonin n’est pas un idiot !
– Passe ton chemin ! finit-il par crier de derrière la porte. Il n’y a rien pour toi ici !

Calmement, d’une voix profonde et douce, le colporteur répondit :
– La charité t’aura donc quitté toi aussi ! Comme c’est regrettable…

Et l’homme passa son chemin.

Antonin se félicita, content d’avoir échappé au piège. Il s’endormit ce soir du sommeil du juste…
Le lendemain, il s’éveilla, frigorifié, aux petites heures du matin. Etonné de cette sensation qu’il ne connaissait plus, il se frotta vigoureusement les yeux et regarda autour de lui : plus rien, que sa vieille paillasse et sa pauvre masure au-dessus de sa tête. Tout avait disparu. Avait-il donc rêvé ? Soudain il s’écria :

– Modeste ! Nom di Diou !

            Il sortit comme un fou et courut à l’emplacement, où il se souvenait avoir vu son âne pour la dernière fois. La bride, usée comme tout le reste, pendait à terre, sans point d’âne à l’autre bout…

– Mon Dieu qu’ai-je fait ? Dans ma vanité, ma stupidité, j’ai laissé crever mon âne… mon seul ami… Me voilà bien malheureux à présent ! Ah, comme j’aurais aimé ne jamais connaître ce maudit papier !!

A ces mots le colporteur surgit d’un buisson :
– Crois-tu vraiment ce que tu dis ?

            Antonin, surpris et incrédule répliqua :
– Je vous avais dit que ces choses n’étaient pas pour moi, que je ne voulais pas y toucher à vot’ papier, qu’il était pas fait pour moi !
– Peut-être, cependant c’est toi et toi seul, qui as dessiné dessus…
– Sans doute et je suis bien puni de l’avoir fait ! Comme je regrette d’avoir été si bête et si méchant !
– Pourtant il existe une solution…

            Intrigué le paysan tendit l’oreille :
– Laquelle ? Ne me faites pas languir ! Ah, que ne donnerais-je point pour que tout redevienne comme avant !
– C’est bien là la question… Que serais-tu prêt à donner ?

            « Donner », oh, comme il n’aimait plus ce mot !
  Bah dame ! Quèque vous demandez ?
– Oh, mais je ne demande rien. Je ne demande jamais rien, en fait. Il me suffit de laisser parler la concupiscence des gens, ajouta-t-il pour lui-même, leur mesquinerie, leur jalousie, tous ces charmants défauts, si utiles à ma cause…
– Mais alors quoi ?
– C’est bien simple, il te suffit de dessiner ton âne, sur ce bout de papier qu’il te reste, avec ton sang…
– Jamais ! Jamais je ne toucherai de nouveau à ce papier de malheur !
– Comme tu voudras, conclut simplement le marchand, qui disparut en trois enjambées, persuadé que le paysan le rappellerait bientôt.

            Triste et dépité, Antonin regagna le logis. Assis sur son banc, il tira machinalement de sa poche le petit bout de papier qui y était resté et le jeta aussitôt avec horreur dans le feu.
            Le ventre vide il se coucha ce soir-là :

– A quoi bon lutter ? se dit-il, maintenant que je ne serai plus heureux…

            Le matin suivant, le brouillard s’était levé. La montagne était belle sous le soleil et Antonin se remit au travail. Les anciennes habitudes ont la dent dure et c’est bien ainsi. Alors qu’il ramassait des genêts pour réparer son toit, il crut entendre un hennissement.

– Voilà que je deviens fou à présent : je crois entend’ mon âne !   

            De nouveau le hennissement. Cette fois Antonin leva le nez des fourrés : en contre-bas un âne, un âne qui lui avait tant manqué trottinait…

 – Grand Dieu, Modeste ! C’est-y qu’ce serait toi ?
           
            Et comme s’il comprenait, l’âne hocha la tête. Dès lors, tous les colporteurs du monde pourraient bien se présenter, il jura à Modeste, son unique et véritable ami, que jamais, au grand jamais, il ne toucherait encore une quelconque de leurs marchandises et aussi, qu’il y regarderait à deux fois, avant d’inviter un inconnu en son logis.

  Charité bien ordonnée…commence par soi-même ! conclut-il.

Par quel miracle Modeste avait-il survécu ? Au fond cela n’avait guère d’importance. Aujourd’hui ils étaient ensemble. Et c’était bien ainsi.

En vérité, fatigué du remue-ménage, Modeste avait consciencieusement rongé sa corde et s’était refugié dans une grange abandonnée, sur l’autre versant de la montagne. Une grange providentielle, où il restait suffisamment de foin, pour nourrir un modeste âne…

Fin

L'Each Uisge ou le cheval des mers - Each Uisge, The Sea Stalion

L’Each Uisge ou le terrible cheval des mers

The Each Uisge, also known as “Sea Stallion”

La mythologie celte est peuplée d’être hybrides, métamorphiques, revêtant une forme différente selon leur état ou leur fonction.
Il s’agit pour les celtes, d’expliquer les mystères de la nature en personnifiant les éléments et leurs manifestations, procurant ainsi un sentiment de plus grande sécurité et de contrôle, par le truchement de cérémonies et rituels religieux.

Celtic mythology is crammed with hybrid creatures that switch appearances, along with their changing moods or passing social roles. These multi-shaped allegories are the easiest way for the Celts to tame their natural and frightening environment. By making offers, or even sacrificing live beings, they feel they can control the wrath of the elements and phenomenon they cannot comprehend.

Le cheval des mers et la superstition des marins

The “Sea Stallion” the dreaded curse of seamen


L'each uisge est sous sa forme principale un cheval aquatique qui sévit sur les mers et les océans. Il est l’incarnation de la tempête tant redoutée et exhibe ses courbes d’écume, du haut des gigantesques vagues qui menacent navires et marins.
L'Each Uisge, aughisky ou each uisce

Ainsi l’each uisge (en gaélique écossais), each uisce (en irlandais), aughisky (en anglais d'Irlande), esprit maléfique des légendes marines écossaises et irlandaises, est sous sa forme principale un cheval aquatique qui sévit sur les mers et les océans. Il est l’incarnation de la tempête tant redoutée et exhibe ses courbes d’écume, du haut des gigantesques vagues qui menacent navires et marins.

La superstition régit depuis toujours le comportement des marins. Dès l’époque celtique, si l’on voulait prendre la mer sans risquer de se voir emporter dans les abysses par l’each uisge, il fallait plaire au cheval des mers en lui proposant des offrandes, parfois même des sacrifices.

Dans l'épopée du célèbre Capitaine Keir Morgan, afin de repousser les attaques de l'each uisge, les flibustiers demandent à sacrifier "l'étranger", celui qui provient des îles Féroé.

When presented as a horse, his favourite shape, the Each Uisge becomes a malevolent spirit whose aim is to precipitate ships and seafarers into abyssal depths. It thus incarnates the tempests, cyclones and similar mariners’ plagues. It usually appears on top of gigantic waves, mingling its curve in the foam.


At the time when the Celtic people sailed from isle to isle rituals dedicated to the Each Uisge were organised prior to any intended journey, in order to keep its spirit satisfied, thus ensuring a safe journey.

Playlist : In Flames "The Chosen Pessimist" - Be'Lakor "Countless Skies"

La légende du matagot

Mais qui est-donc le matagot ?



The legend of the Matagot in Auvergne is very similar to the Cat Sidhe's in Scotland
Un matagot bienheureux !

Avez-vous déjà entendu parler du matagot, ce petit être facétieux du folklore auvergnat, qui protège les foyers aimants et maudit ceux qui lui nuisent ?

Extrait du roman "Le Mystère Angèle Donnadieu" :

"On racontait que privé de sa ration quotidienne, le matagot était capable de coups pendards, tandis que s’il était rassasié, il savait récompenser son hôte. Alors mieux valait ne pas s’égarer…"


L'étrange conte du Sieur Matagot


L'hiver était tombé sur les Hautes Chaumes, comme un cheval mort. Il avait neigé sans relâche toute la nuit et ce matin, l'on pouvait à peine entrouvrir la porte, bloquée par la poudreuse. Octobre avait tout juste rhabillé les arbres de pourpre, que déjà les couleurs s'étiolaient dans la pâleur glacée.
La paysanne était passée à l'étable, s'occuper de ses bestiaux : une chèvre et une vache. Il fallait traire ce monde-là, doigts gelés ou pas ! Elle allait récupérer au passage quelqu'onces de grains mélangés, pour faire son pain de la semaine. A peine avait-elle touché la toile du sac qu'une nuée de souris s'éparpilla dans la grange.

— Si c'est y pas malheureux !, râla-t-elle, à ce rythme-là on passera pas frimaire, comme y disent !

Et les jours s’envolèrent, de grisaille en froidure, sans qu'aucune éclaircie ne pointe son audace au-dessus des sommets.
La vieille se lamentait. Faut dire qu'elle était bien seule, depuis que son époux avait été emporté par une mauvaise fluxion de poitrine, contre laquelle on n'avait rien pu. Non pas qu'elle s'entendait si bien avec le Blaise : on n'se disait point mot, on n'se regardait guère, mais on s'côtoyait. Puis surtout on s'tenait chaud la nuit, et les travaux à deux étaient tout de même moins pénibles...
Le fils quant à lui, s'était mis en tête ces idées de révolution, qui avaient rendu folle la lointaine capitale et embrasé le Païs. Bien des p'tits étaient partis courir fortune, ou elle ne savait quelle autre idée saugrenue. On ne les avait jamais revus. La malle poste n'était pas bien prompte à remettre les lettres dans ces contrées reculées, mais quand même, cela faisait dix ans...

Triste était la paysanne, mais point de place pour la mélancolie tant qu'il reste du travail… Elle se trouvait pourtant là à rêvasser, à ce moment du soir où l'on distingue encore une lueur rosée au loin, à travers le papier graissé de la fenêtre.

— Miaaww, entendit-elle.
— Bah qu'est qu'c'est qu'ça ? C'est y ben possible qu'un chat s'gèle encore les pattes dans le coin ? Z'ont dû tous crever, vindiou!
— Miaaw, répéta la voix.
— Ah ça, j'men vais y voir !

Et bon an, mal an, tenta-t-elle d'apercevoir une silhouette avec ses mauvais yeux.
— Aah ! cria-t-elle.

Un chat venant d'on n'sait où, avait bondit juste devant elle.
— Tu m'as fait peur, méchante bête ! Allez file, y a rien pour toi ici !

Et non, on  n'est pas tendre avec les chats à la campagne. Utiles ou nuisibles, ça dépend...et pourtant !

— Miooh mais je ne demande rien. Juste de me tenir un peu au coin de ton feu ! dit le chat.

La vielle prit peur :
— Un chat qui parle ! Nom di Diou ! Va-t-en bête à diable !

Et elle rentra sans attendre.

La Noël approchait. Les récoltes s'amenuisaient comme peau de chagrin, malgré ses précautions pour se rationner. Il lui avait semblé, depuis quelque temps que les souris s'étaient encore multipliées. Ces maudites bestioles lui volaient sa survie et elle avait beau mettre des pièges, rien n'y faisait : il y en avait toujours plus !
La paysanne se surprit à penser que si elle avait eu un chat, il l'aurait certainement délivrée de cette vermine. Mais sauf cette créature qui était venue un soir, point de chat qui traîna dans l'coin !
Elle était assise au coin du feu, perdue dans ses pensées, quand elle entendit gratter à la porte. Une sueur froide lui glissa dans le dos : se pouvait-il que cette bête l'ait entendue ? Alors il ne pouvait s'agir que d'un maléfice...

— Mais si je ne fais rien, dans quelques semaines je n'aurai plus rien à manger... Alors j'crèverai quand même !

Elle se dirigea lentement vers la porte, tremblante. Le panneau de bois était à peine entrouvert qu'une maigre silhouette se faufila à l'intérieur et alla directement s'asseoir près de la cheminée, là où le sol est chaud.
La vieille ne dit mot. C'était comme si elle avait quelque pitié pour cette petite bête efflanquée. "On dirait un rat", pensa-t-elle.

— Dis, y aurait bien de quoi te nourrir dans la grange, si tu voulais bien. Y a des tas de souris qui m'volent mon grain !
— Tu m'as prêté ton feu, je veux bien te rendre service, mais si tu veux que je continue à te débarrasser des indésirables, il  faudra que je trouve chaque matin une écuelle de bon lait frais, que tu déposeras dans l'âtre.
— C'est y donc tout ce que tu demandes ? Point d'histoire d'âme ou de pacte que tu voudrais me faire signer ?
— Je suis un Matagot, dit le chat. Je protège les foyers qui prennent soin de moi. C'est un échange de bons procédés.
— Bien, dit la paysanne, il sera fait comme tu l'as demandé. Mais si je m'aperçois que les souris m'enquiquinent toujours, je te fiche dehors !

Le Matagot la dévisagea une seconde, ne prit pas la peine de répondre, et reprit sa toilette.

Le lendemain matin, la vieille se dit : "Je ne vais quand même pas gâcher une écuelle de lait si ce maudit chat n'a pas tenu promesse !" Elle avait l'intention d'aller vérifier l'occupation de la grange, quand on chuchota derrière elle : "Si point de lait tu ne donnes, point de grain tu n'auras". Elle se retourna brusquement mais ne vit rien. "Huuum, pensa-t-elle, peut-être vaudrait-il mieux ne pas courir de risque... Mais dame, si les souris ont bien disparu, il se passera des jours avant qu'elles ne reviennent, des jours pendant lesquels je n’aurai pas à donner de lait, puisqu'il n'y aura pas de souris à chasser ! " 
Sur ces réflexions mesquines, elle alla faire un tour du côté de la grange et constata, oh miracle, que les souris s'étaient évaporées, comme par magie ! Elle se frotta les mains, contente de la bonne affaire, et retourna à ses occupations.

De la journée ni du soir ne vit-on de chat.
— Qu'il aille donc faire ses affaires ailleurs, celui-là, je n'en aurai pas besoin de sitôt et à moi le lait, pas de gaspillage !

Au bout du deuxième jour qu'il avait disparu, le chat n'avait toujours pas reparu, les souris non plus.
— M'en vas m'faire un bon lait chaud ! se dit la vieille toute jouasse en allant traire ses bêtes. Et pis c'est Noël. J'ai trouvé deux œufs ce matin. M'en vas m'faire un bon gâteau !

La traite terminée, elle monta à la grange. Tout juste avait-elle poussé la porte du montadour qu'elle vit débouler de toutes parts et courir dans tous les sens, des milliers de souris ! Le grain était mangé, le foin désespérément gâté.

— Au secours ! cria-t-elle. Matagot ! Matagot ! Viens vite, y a d'la souris partout !

Mais on ne vit point de museau : le matagot ne revint pas.

Au nouvel an, c'était la disette : le grain avait été dévoré jusqu'au dernier, la vache et la chèvre ni la poule ne donnaient plus, faute de nourriture. La mauvaise paysanne survécut tout de même, cet hiver-là. Elle dû manger sa chèvre et sa poule, sa vache ayant crevé, et c'est bien affaiblie qu'elle entra au printemps...sans plus rien, ni bêtes ni biens.

C'est alors qu'elle regretta amèrement de ne pas s'être départie d'un peu de lait chaque matin, pour ce Matagot si précieux, qui au fond ne demandait pas grand-chose, lui aurait sauvé la mise et réchauffé les pieds la nuit...

Ecoutez la morale de cette histoire mes amis et soyez prévenus :

« Tout foyer bien avisé sait Matagot choyer, car contre un âtre bien chauffé, et de lait quelques lampées, se saura bien gardé ! »


Copyright © Laure Guymont avril 2014



Contes et légendes d'Auvergne : Le papier argentin 2ème partie

Contes et légendes d'Auvergne

Le papier argentin

2ème partie


L'âne Modeste dans le conte "le papier argentin", en hommage à Modestine, l'âne de R.L. Stevenson
L'âne Modeste dans "le papier argentin"

Au beau milieu de la nuit, Antonin s’éveilla, dérangé par un rayon de lune qui lui chatouillait les paupières. Lorsqu’il comprit qu’il ne devait pas être plus de minuit, il donna un coup à son oreiller de foin, pour l’amollir un peu et renfonça la tête dedans. Seulement le sommeil ne revint pas. L’autre à côté ronflait comme un sonneur.

— Doit pas bin connaître de tracas celui-là pour écraser comme un mort !

Puis il se dit que du tracas lui-même en avait bien, mais c’était son quotidien, alors pourquoi diable ne dormait-il point ?
Dans l’âtre les braises rougeoyaient hardiment. Les flammes s’étaient étouffées et pourtant la lumière qui émanait du cantou semblait plus vivace encore… Elle enveloppait le barda du colporteur d’une lueur intense, comme la confiture qui cuit dans le chaudron de cuivre, si bien qu’Antonin fut pris, dans son ennui, de l’envie d’y toucher.
A peine avait-il effleuré le sac que le papier tomba.

— Ce n’est pas pour moi ces affaires-là…

Et tout en se répétant la leçon, il regarda ses mains saisir le papier et l’approcher de son visage.

— Pis qu’est que ça coûte d’essayer ? C’est qu’i m’a dit qu’j’pouvais. Pis i dort de toute façon. Si ça marche pas, je pourrai pas avoir honte.

Antonin ne savait pas écrire, ni dessiner non plus, mais il avait de la jugeote. Il tira de sa poche un sou, attrapa un morceau de bois carbonisé dans la cheminée et le frotta sur la pièce. Puis avec une certaine force, il appuya la silhouette du sou sur le papier et attendit. Rien. Une heure, puis deux. Un bâillement lui indiqua que le sommeil revenait.

— C’était sûr. C’est des attrape-nigauds, ces cajoleries-là.

Il regagna sa paillasse et s’endormit pour de bon.

Au matin, Antonin se réveilla groggy. Il avait dormi plus que de mesure. Dehors, Modeste son âne râlait : on ne lui avait pas encore amené sa ration.
Il se leva machinalement puis réalisa soudain que la pièce était vide : pas trace de colporteur ni de sa marchandise. Seule une feuille de papier sur la table était restée.

— Le bonhomme n’aura pas voulu me réveiller, se dit-il en se dirigeant vers Modeste.

L’âne braya de plus belle.

— Ça vient ça vient ! Bah mon gars, je t’ai rarement vu tant de mauvais de poil ! Qu’est que c’est-y qu’on t’a mis là ?

En s’approchant, Antonin avait remarqué que Modeste était affublé de deux sacoches, qui ne lui appartenaient pas. Curieux, il ouvrit la première et la referma aussitôt effrayé.

— Nom di Diou ! s’exclama-t-il.

La première sacoche était remplie de sous. La seconde aussi. Car une fois la surprise passée, Antonin l’avait ouverte vaillamment.

— C’est que ma v’là riche à présent ! Mais alors ce s’rait qu’i marcherait ce papier finalement.


Se frottant les mains, Antonin se trouva ravi qu’une feuille ait été oubliée sur sa table…


A suivre

Contes et légendes d'Auvergne : Le papier argentin 1ère partie

Contes et légendes d'Auvergne

 Le papier argentin


L'hiver est long par chez-nous et le froid qui règne en maître durant de longs mois, dissuade le pèlerin de s'aventurer dehors. C'est ainsi que les veillées sont nées : un hiver au coin du feu. On s'asseyait tous ensemble, petits et grands, autour de la table familiale ou sur l'archibanc et on écoutait les anciens dire des contes...
Je me souviens encore de ce soir-là, où mon grand-père avait pris la parole pour nous conter la légende du papier argentin, une histoire pleine de mystère qui nous avait fait chercher à ma cousine et moi, le fameux papier...

Découvrez la légende du papier argentin, un conte méconnu d'Auvergne
La veillée auvergnate autour du cantoù

Le papier argentin

1ère partie


Par-delà la vallée d’Ambert, au beau milieu du bois de Guérine, vivait un homme. Paysan de naissance il était, mais des querelles de cousinage, à la mort de ses parents, l’avaient laissé presque sans rien. Il cultivait un petit jardin, en contre-bas de la montagne où il avait bâti de ses mains, une masure toute de bois et de bruyères et avait reçu, en dédommagement de son héritage fort contesté, un âne.

La bête était têtue mais brave. Chaque jour, lorsqu’il partait en quête de bois de chauffe, ou bien lorsqu’il fallait labourer, l’animal l’accompagnait, rechignant à peine à la tâche.

La forêt s’était parée de pourpre et de vermeil, à l’image des manteaux de rois, et Antonin se prenait à rêvasser, assis contre un hêtre au tronc fier, mâchonnant une brindille. L’âne paissait calmement à ses côtés, ignorant ses élucubrations. Alors s’élevait dans l’air alentour, une multitude de carrosses, de chevaux, de pourpoints rehaussés de fil d’or et de victuailles luxueuses. Antonin se disait qu’il n’avait guère de chance, mais que si la fortune venait à lui sourire, ses rêves deviendraient réalité, et il serait heureux.

La nuit tombait, il était temps de rentrer. Son compagnon charriait son lot de légumes fraîchement cueillis. Il allait falloir se montrer parcimonieux avec les choux dans les semaines à venir, car l’hiver s’annonçant, les récoltes allaient manquer… Mais il n’était pas encore temps de se restreindre et Antonin comptait bien s’endormir le ventre plein, ce soir-là.

A peine avait-il sorti son bol et son quignon de pain du tiroir de la table, qu’on frappa à la porte. C’était un colporteur.

Dans ces contrées reculées, seuls les colporteurs rendaient visite aux habitants isolés. Ils apportaient avec eux des couteaux, des petits nécessaires divers et surtout des nouvelles de la vallée. On ne les accueillait pas toujours. Parfois la pauvreté entraînait-elle l’aigrissement, et bien des portes closes avaient laissé les colporteurs affamés et transis de froid.

Mais Antonin n’était pas de ceux-là. Il ouvrit la porte et sourit. La compagnie lui manquait tellement d’ordinaire !

— Entrez, brave homme, dit-il. Je m’apprêtais à passer une soupe qui vous réchauffera les jointures !
— Vous êtes bien aimable, répondit le colporteur, étonné de ne pas se voir chassé. La charité chrétienne serait-elle toujours partie de ce monde ? s’étonna-t-il encore…
— Oh, ça la charité, je ne saurais pas bien vous dire, remarqua Antonin, mais ne fait point à autrui ce que tu ne souhaiterais que l’on te fît, ça pour sûr !

Les deux compères s’assirent à table et partagèrent le souper.

La conversation allait bon train : des dernières frasques du petit Gaillard de Fournols, à la bile de la Douce qui n’en finissait pas de noircir, que le docteur disait qu’elle ne passerait pas l’hiver…

Antonin connaissait tous ces gens dont le colporteur parlait, mais après un moment, son attention se porta sur l’escarcelle du marchand.

— Et qu’est-ce donc que vous avez-là ? Non pas que j’ai bien de sous à dépenser…
— J’ai de la dentelle, pour ces dames, du sel, des couteaux…

Tandis que le colporteur détaillait son inventaire, il déballait les marchandises sur la table. On est commerçant ou on ne l’est pas et d’aucun sait que montrer c’est vendre…

— Et ce papier c’est pour les lettres ? interrogea Antonin, à la vue d’une liasse à l’apparence insignifiante.
— Ah non, ça c’est du papier argentin.
— Du papier argentin ? Et qu’a-t-i de spécial, ce papier ? S’il n’sert point aux lettres, à quoi que c’est-y qu’i peut bien servir ? reprit Antonin, qui n’en avait jamais entendu parler.
— Aaaah, mais c’est qu’il n’est pas fait pour n’importe qui ! Seules les bonnes âmes peuvent s’en servir…
— Les bonnes âmes ? répéta Antonin intrigué.
— Je m’explique. Ce papier sert à exaucer les vœux. Mais seules les personnes qui ont du cœur peuvent en payer le prix.
— Oh bah ça du cœur j’en ai. Quant à en payer le prix, c’est une autre affaire, je suis bien trop pauvre pour me l’offrir, sans doute !

Le colporteur esquissa un sourire et continua.

— Le prix à payer n’est pas toujours celui qu’on croit… mais vous ne voulez donc pas que je vous explique comment l’on s’en sert ?
— Oh, si ça m’intéresse !
— Et bien il suffit d’écrire sur le papier ce que l’on souhaite obtenir.
— Ah bah voilà : de toute façon j’sais point écrire. Ce papier n’est donc décidemment pas pour moi !
— Vous n’avez pas besoin d’écrire de mots. Vous pouvez aussi dessiner… Le papier devinera.
— Mais c’est quel genre de choses qu’on peut obtenir ?
— Tout ce qui se peut acheter.
— Ah... C’est comme un trésor alors ?
— En quelque sorte.
— Je ne crois guère à ces choses-là, et pour l’heure, il est temps d’aller se coucher, conclut Antonin.

Les deux hommes s’installèrent sur une paillasse, entassée dans un coin de la pièce. La journée avait été fatigante, et ils s’endormirent bientôt.

A suivre

Contes et légendes d'Auvergne : la Galipote

Contes et légendes d'Auvergne : la Galipote


La légende de la Galipote remonte à la nuit des temps. Elle s'étend de l'Auvergne, au Sud-Ouest de la France et revêt selon les régions, des aspects différents.
Dans le roman policier "Le Mystère Angèle Donnadieu" c'est la version que me racontait ma grand-mère à la veillée qui s'exprime : celle qui existe seulement dans le Livradois-Forez.

A cet endroit, hérissé de forêts épaisses, la Galipote n'est pas un loup-garou, comme dans la plupart des autres régions, mais une créature polymorphe, qui prend le plus souvent l'apparence d'une vielle dame, ramassant des branches dans la forêt pour alimenter son feu.

Le bois des Fayes

Elle apparaît à la tombée de la nuit, aux imprudents qui se promèneraient encore dans les parages... Son allure misérable, son dos courbé sous le poids des ans et ses doigts crochus d'arthrose, suscitent la pitié des bonnes âmes...
D'ordinaire, me direz-vous, les êtres bien pensant dans les contes et légendes sont saufs à la fin de l'histoire. Oui, mais le folklore auvergnat est injuste ! Voyez-vous celui qui prend pitié de la Galipote et lui offre son aide, se retrouve bientôt à porter celle-ci et son fardeau sur le dos, jusqu'à une masure qui n'existe pas, si bien qu'à errer dans les chemins sombre, il meurt d'épuisement...

La galipote

La Galipote est donc une créature profondément mauvaise. La grand-mère de l'inspecteur Pierre Fayet, qui mène l'enquête sur la disparition d'Angèle Donnadieu, lui disait enfant, lorsqu'il était en proie à ses angoisses, qu'il "portait la Galipote".

Extrait du texte :

Les effluves de l’ail doux embaumaient la pièce, aiguisant l’appétit. Il y avait un je-ne-sais-quoi de réjouissant dans ce fumet familier. Pierre en goûtait avidement l’apaisement, le réconfort, si rares étaient les moments où sa poitrine empesée lui permettait de respirer convenablement.

—   Tu portes la Galipote, mon petit… déplorait son aïeule, à l’époque.

La Galipote… cette créature maléfique du folklore auvergnat, qui vous guettait au coin du bois, vous sautait sur le dos et ne vous lâchait plus, jusqu’à ce que quelque sort vous en défît… jolie métaphore de l’angoisse...




Et si cette légende cruelle était en réalité une terrible métaphore de la mélancolie ?