Contes et légendes d'Auvergne : Le papier argentin 2ème partie

Contes et légendes d'Auvergne

Le papier argentin

2ème partie


L'âne Modeste dans le conte "le papier argentin", en hommage à Modestine, l'âne de R.L. Stevenson
L'âne Modeste dans "le papier argentin"

Au beau milieu de la nuit, Antonin s’éveilla, dérangé par un rayon de lune qui lui chatouillait les paupières. Lorsqu’il comprit qu’il ne devait pas être plus de minuit, il donna un coup à son oreiller de foin, pour l’amollir un peu et renfonça la tête dedans. Seulement le sommeil ne revint pas. L’autre à côté ronflait comme un sonneur.

— Doit pas bin connaître de tracas celui-là pour écraser comme un mort !

Puis il se dit que du tracas lui-même en avait bien, mais c’était son quotidien, alors pourquoi diable ne dormait-il point ?
Dans l’âtre les braises rougeoyaient hardiment. Les flammes s’étaient étouffées et pourtant la lumière qui émanait du cantou semblait plus vivace encore… Elle enveloppait le barda du colporteur d’une lueur intense, comme la confiture qui cuit dans le chaudron de cuivre, si bien qu’Antonin fut pris, dans son ennui, de l’envie d’y toucher.
A peine avait-il effleuré le sac que le papier tomba.

— Ce n’est pas pour moi ces affaires-là…

Et tout en se répétant la leçon, il regarda ses mains saisir le papier et l’approcher de son visage.

— Pis qu’est que ça coûte d’essayer ? C’est qu’i m’a dit qu’j’pouvais. Pis i dort de toute façon. Si ça marche pas, je pourrai pas avoir honte.

Antonin ne savait pas écrire, ni dessiner non plus, mais il avait de la jugeote. Il tira de sa poche un sou, attrapa un morceau de bois carbonisé dans la cheminée et le frotta sur la pièce. Puis avec une certaine force, il appuya la silhouette du sou sur le papier et attendit. Rien. Une heure, puis deux. Un bâillement lui indiqua que le sommeil revenait.

— C’était sûr. C’est des attrape-nigauds, ces cajoleries-là.

Il regagna sa paillasse et s’endormit pour de bon.

Au matin, Antonin se réveilla groggy. Il avait dormi plus que de mesure. Dehors, Modeste son âne râlait : on ne lui avait pas encore amené sa ration.
Il se leva machinalement puis réalisa soudain que la pièce était vide : pas trace de colporteur ni de sa marchandise. Seule une feuille de papier sur la table était restée.

— Le bonhomme n’aura pas voulu me réveiller, se dit-il en se dirigeant vers Modeste.

L’âne braya de plus belle.

— Ça vient ça vient ! Bah mon gars, je t’ai rarement vu tant de mauvais de poil ! Qu’est que c’est-y qu’on t’a mis là ?

En s’approchant, Antonin avait remarqué que Modeste était affublé de deux sacoches, qui ne lui appartenaient pas. Curieux, il ouvrit la première et la referma aussitôt effrayé.

— Nom di Diou ! s’exclama-t-il.

La première sacoche était remplie de sous. La seconde aussi. Car une fois la surprise passée, Antonin l’avait ouverte vaillamment.

— C’est que ma v’là riche à présent ! Mais alors ce s’rait qu’i marcherait ce papier finalement.


Se frottant les mains, Antonin se trouva ravi qu’une feuille ait été oubliée sur sa table…


A suivre

Contes et légendes d'Auvergne : Le papier argentin 1ère partie

Contes et légendes d'Auvergne

 Le papier argentin


L'hiver est long par chez-nous et le froid qui règne en maître durant de longs mois, dissuade le pèlerin de s'aventurer dehors. C'est ainsi que les veillées sont nées : un hiver au coin du feu. On s'asseyait tous ensemble, petits et grands, autour de la table familiale ou sur l'archibanc et on écoutait les anciens dire des contes...
Je me souviens encore de ce soir-là, où mon grand-père avait pris la parole pour nous conter la légende du papier argentin, une histoire pleine de mystère qui nous avait fait chercher à ma cousine et moi, le fameux papier...

Découvrez la légende du papier argentin, un conte méconnu d'Auvergne
La veillée auvergnate autour du cantoù

Le papier argentin

1ère partie


Par-delà la vallée d’Ambert, au beau milieu du bois de Guérine, vivait un homme. Paysan de naissance il était, mais des querelles de cousinage, à la mort de ses parents, l’avaient laissé presque sans rien. Il cultivait un petit jardin, en contre-bas de la montagne où il avait bâti de ses mains, une masure toute de bois et de bruyères et avait reçu, en dédommagement de son héritage fort contesté, un âne.

La bête était têtue mais brave. Chaque jour, lorsqu’il partait en quête de bois de chauffe, ou bien lorsqu’il fallait labourer, l’animal l’accompagnait, rechignant à peine à la tâche.

La forêt s’était parée de pourpre et de vermeil, à l’image des manteaux de rois, et Antonin se prenait à rêvasser, assis contre un hêtre au tronc fier, mâchonnant une brindille. L’âne paissait calmement à ses côtés, ignorant ses élucubrations. Alors s’élevait dans l’air alentour, une multitude de carrosses, de chevaux, de pourpoints rehaussés de fil d’or et de victuailles luxueuses. Antonin se disait qu’il n’avait guère de chance, mais que si la fortune venait à lui sourire, ses rêves deviendraient réalité, et il serait heureux.

La nuit tombait, il était temps de rentrer. Son compagnon charriait son lot de légumes fraîchement cueillis. Il allait falloir se montrer parcimonieux avec les choux dans les semaines à venir, car l’hiver s’annonçant, les récoltes allaient manquer… Mais il n’était pas encore temps de se restreindre et Antonin comptait bien s’endormir le ventre plein, ce soir-là.

A peine avait-il sorti son bol et son quignon de pain du tiroir de la table, qu’on frappa à la porte. C’était un colporteur.

Dans ces contrées reculées, seuls les colporteurs rendaient visite aux habitants isolés. Ils apportaient avec eux des couteaux, des petits nécessaires divers et surtout des nouvelles de la vallée. On ne les accueillait pas toujours. Parfois la pauvreté entraînait-elle l’aigrissement, et bien des portes closes avaient laissé les colporteurs affamés et transis de froid.

Mais Antonin n’était pas de ceux-là. Il ouvrit la porte et sourit. La compagnie lui manquait tellement d’ordinaire !

— Entrez, brave homme, dit-il. Je m’apprêtais à passer une soupe qui vous réchauffera les jointures !
— Vous êtes bien aimable, répondit le colporteur, étonné de ne pas se voir chassé. La charité chrétienne serait-elle toujours partie de ce monde ? s’étonna-t-il encore…
— Oh, ça la charité, je ne saurais pas bien vous dire, remarqua Antonin, mais ne fait point à autrui ce que tu ne souhaiterais que l’on te fît, ça pour sûr !

Les deux compères s’assirent à table et partagèrent le souper.

La conversation allait bon train : des dernières frasques du petit Gaillard de Fournols, à la bile de la Douce qui n’en finissait pas de noircir, que le docteur disait qu’elle ne passerait pas l’hiver…

Antonin connaissait tous ces gens dont le colporteur parlait, mais après un moment, son attention se porta sur l’escarcelle du marchand.

— Et qu’est-ce donc que vous avez-là ? Non pas que j’ai bien de sous à dépenser…
— J’ai de la dentelle, pour ces dames, du sel, des couteaux…

Tandis que le colporteur détaillait son inventaire, il déballait les marchandises sur la table. On est commerçant ou on ne l’est pas et d’aucun sait que montrer c’est vendre…

— Et ce papier c’est pour les lettres ? interrogea Antonin, à la vue d’une liasse à l’apparence insignifiante.
— Ah non, ça c’est du papier argentin.
— Du papier argentin ? Et qu’a-t-i de spécial, ce papier ? S’il n’sert point aux lettres, à quoi que c’est-y qu’i peut bien servir ? reprit Antonin, qui n’en avait jamais entendu parler.
— Aaaah, mais c’est qu’il n’est pas fait pour n’importe qui ! Seules les bonnes âmes peuvent s’en servir…
— Les bonnes âmes ? répéta Antonin intrigué.
— Je m’explique. Ce papier sert à exaucer les vœux. Mais seules les personnes qui ont du cœur peuvent en payer le prix.
— Oh bah ça du cœur j’en ai. Quant à en payer le prix, c’est une autre affaire, je suis bien trop pauvre pour me l’offrir, sans doute !

Le colporteur esquissa un sourire et continua.

— Le prix à payer n’est pas toujours celui qu’on croit… mais vous ne voulez donc pas que je vous explique comment l’on s’en sert ?
— Oh, si ça m’intéresse !
— Et bien il suffit d’écrire sur le papier ce que l’on souhaite obtenir.
— Ah bah voilà : de toute façon j’sais point écrire. Ce papier n’est donc décidemment pas pour moi !
— Vous n’avez pas besoin d’écrire de mots. Vous pouvez aussi dessiner… Le papier devinera.
— Mais c’est quel genre de choses qu’on peut obtenir ?
— Tout ce qui se peut acheter.
— Ah... C’est comme un trésor alors ?
— En quelque sorte.
— Je ne crois guère à ces choses-là, et pour l’heure, il est temps d’aller se coucher, conclut Antonin.

Les deux hommes s’installèrent sur une paillasse, entassée dans un coin de la pièce. La journée avait été fatigante, et ils s’endormirent bientôt.

A suivre

Contes et légendes d'Auvergne : la Galipote

Contes et légendes d'Auvergne : la Galipote


La légende de la Galipote remonte à la nuit des temps. Elle s'étend de l'Auvergne, au Sud-Ouest de la France et revêt selon les régions, des aspects différents.
Dans le roman policier "Le Mystère Angèle Donnadieu" c'est la version que me racontait ma grand-mère à la veillée qui s'exprime : celle qui existe seulement dans le Livradois-Forez.

A cet endroit, hérissé de forêts épaisses, la Galipote n'est pas un loup-garou, comme dans la plupart des autres régions, mais une créature polymorphe, qui prend le plus souvent l'apparence d'une vielle dame, ramassant des branches dans la forêt pour alimenter son feu.

Le bois des Fayes

Elle apparaît à la tombée de la nuit, aux imprudents qui se promèneraient encore dans les parages... Son allure misérable, son dos courbé sous le poids des ans et ses doigts crochus d'arthrose, suscitent la pitié des bonnes âmes...
D'ordinaire, me direz-vous, les êtres bien pensant dans les contes et légendes sont saufs à la fin de l'histoire. Oui, mais le folklore auvergnat est injuste ! Voyez-vous celui qui prend pitié de la Galipote et lui offre son aide, se retrouve bientôt à porter celle-ci et son fardeau sur le dos, jusqu'à une masure qui n'existe pas, si bien qu'à errer dans les chemins sombre, il meurt d'épuisement...

La galipote

La Galipote est donc une créature profondément mauvaise. La grand-mère de l'inspecteur Pierre Fayet, qui mène l'enquête sur la disparition d'Angèle Donnadieu, lui disait enfant, lorsqu'il était en proie à ses angoisses, qu'il "portait la Galipote".

Extrait du texte :

Les effluves de l’ail doux embaumaient la pièce, aiguisant l’appétit. Il y avait un je-ne-sais-quoi de réjouissant dans ce fumet familier. Pierre en goûtait avidement l’apaisement, le réconfort, si rares étaient les moments où sa poitrine empesée lui permettait de respirer convenablement.

—   Tu portes la Galipote, mon petit… déplorait son aïeule, à l’époque.

La Galipote… cette créature maléfique du folklore auvergnat, qui vous guettait au coin du bois, vous sautait sur le dos et ne vous lâchait plus, jusqu’à ce que quelque sort vous en défît… jolie métaphore de l’angoisse...




Et si cette légende cruelle était en réalité une terrible métaphore de la mélancolie ?