Contes et légendes d'Auvergne
Le papier argentin
Je me souviens encore de ce soir-là, où mon grand-père avait pris la parole pour nous conter la légende du papier argentin, une histoire pleine de mystère qui nous avait fait chercher à ma cousine et moi, le fameux papier...
Le papier argentin
1ère
partie
Par-delà la vallée d’Ambert, au beau
milieu du bois de Guérine, vivait un homme. Paysan de naissance il était, mais
des querelles de cousinage, à la mort de ses parents, l’avaient laissé presque
sans rien. Il cultivait un petit jardin, en contre-bas de la montagne où il
avait bâti de ses mains, une masure toute de bois et de bruyères et avait reçu,
en dédommagement de son héritage fort contesté, un âne.
La bête était têtue mais brave. Chaque
jour, lorsqu’il partait en quête de bois de chauffe, ou bien lorsqu’il fallait
labourer, l’animal l’accompagnait, rechignant à peine à la tâche.
La forêt s’était parée de pourpre et de
vermeil, à l’image des manteaux de rois, et Antonin se prenait à rêvasser,
assis contre un hêtre au tronc fier, mâchonnant une brindille. L’âne paissait
calmement à ses côtés, ignorant ses élucubrations. Alors s’élevait dans l’air alentour,
une multitude de carrosses, de chevaux, de pourpoints rehaussés de fil d’or et
de victuailles luxueuses. Antonin se disait qu’il n’avait guère de chance, mais
que si la fortune venait à lui sourire, ses rêves deviendraient réalité, et il
serait heureux.
La nuit tombait, il était temps de
rentrer. Son compagnon charriait son lot de légumes fraîchement cueillis. Il
allait falloir se montrer parcimonieux avec les choux dans les semaines à
venir, car l’hiver s’annonçant, les récoltes allaient manquer… Mais il n’était
pas encore temps de se restreindre et Antonin comptait bien s’endormir le
ventre plein, ce soir-là.
A peine avait-il sorti son bol et son
quignon de pain du tiroir de la table, qu’on frappa à la porte. C’était un
colporteur.
Dans ces contrées reculées, seuls les
colporteurs rendaient visite aux habitants isolés. Ils apportaient avec eux des
couteaux, des petits nécessaires divers et surtout des nouvelles de la vallée.
On ne les accueillait pas toujours. Parfois la pauvreté entraînait-elle
l’aigrissement, et bien des portes closes avaient laissé les colporteurs
affamés et transis de froid.
Mais Antonin n’était pas de ceux-là. Il
ouvrit la porte et sourit. La compagnie lui manquait tellement d’ordinaire !
—
Entrez, brave homme, dit-il. Je m’apprêtais à passer une soupe qui vous
réchauffera les jointures !
—
Vous êtes bien aimable, répondit le colporteur, étonné de ne pas se voir
chassé. La charité chrétienne serait-elle toujours partie de ce monde ? s’étonna-t-il
encore…
—
Oh, ça la charité, je ne saurais pas bien vous dire, remarqua Antonin, mais ne
fait point à autrui ce que tu ne souhaiterais que l’on te fît, ça pour sûr !
Les deux compères s’assirent à table et
partagèrent le souper.
La conversation allait bon train : des
dernières frasques du petit Gaillard de Fournols, à la bile de la Douce qui
n’en finissait pas de noircir, que le docteur disait qu’elle ne passerait pas
l’hiver…
Antonin connaissait tous ces gens dont le
colporteur parlait, mais après un moment, son attention se porta sur
l’escarcelle du marchand.
—
Et qu’est-ce donc que vous avez-là ? Non pas que j’ai bien de sous à dépenser…
—
J’ai de la dentelle, pour ces dames, du sel, des couteaux…
Tandis que le colporteur détaillait son
inventaire, il déballait les marchandises sur la table. On est commerçant ou on
ne l’est pas et d’aucun sait que montrer c’est vendre…
—
Et ce papier c’est pour les lettres ? interrogea Antonin, à la vue d’une liasse
à l’apparence insignifiante.
—
Ah non, ça c’est du papier argentin.
—
Du papier argentin ? Et qu’a-t-i de spécial, ce papier ? S’il n’sert point
aux lettres, à quoi que c’est-y qu’i peut bien servir ? reprit Antonin, qui
n’en avait jamais entendu parler.
—
Aaaah, mais c’est qu’il n’est pas fait pour n’importe qui ! Seules les
bonnes âmes peuvent s’en servir…
—
Les bonnes âmes ? répéta Antonin intrigué.
—
Je m’explique. Ce papier sert à exaucer les vœux. Mais seules les personnes qui
ont du cœur peuvent en payer le prix.
—
Oh bah ça du cœur j’en ai. Quant à en payer le prix, c’est une autre affaire,
je suis bien trop pauvre pour me l’offrir, sans doute !
Le colporteur esquissa un sourire et
continua.
—
Le prix à payer n’est pas toujours celui qu’on croit… mais vous ne voulez donc
pas que je vous explique comment l’on s’en sert ?
—
Oh, si ça m’intéresse !
—
Et bien il suffit d’écrire sur le papier ce que l’on souhaite obtenir.
—
Ah bah voilà : de toute façon j’sais point écrire. Ce papier n’est donc
décidemment pas pour moi !
—
Vous n’avez pas besoin d’écrire de mots. Vous pouvez aussi dessiner… Le papier
devinera.
—
Mais c’est quel genre de choses qu’on peut obtenir ?
—
Tout ce qui se peut acheter.
—
Ah... C’est comme un trésor alors ?
—
En quelque sorte.
—
Je ne crois guère à ces choses-là, et pour l’heure, il est temps d’aller se
coucher, conclut Antonin.
Les deux hommes s’installèrent sur une
paillasse, entassée dans un coin de la pièce. La journée avait été fatigante,
et ils s’endormirent bientôt.