Contes et légendes d'Auvergne : Le papier argentin 1ère partie

Contes et légendes d'Auvergne

 Le papier argentin


L'hiver est long par chez-nous et le froid qui règne en maître durant de longs mois, dissuade le pèlerin de s'aventurer dehors. C'est ainsi que les veillées sont nées : un hiver au coin du feu. On s'asseyait tous ensemble, petits et grands, autour de la table familiale ou sur l'archibanc et on écoutait les anciens dire des contes...
Je me souviens encore de ce soir-là, où mon grand-père avait pris la parole pour nous conter la légende du papier argentin, une histoire pleine de mystère qui nous avait fait chercher à ma cousine et moi, le fameux papier...

Découvrez la légende du papier argentin, un conte méconnu d'Auvergne
La veillée auvergnate autour du cantoù

Le papier argentin

1ère partie


Par-delà la vallée d’Ambert, au beau milieu du bois de Guérine, vivait un homme. Paysan de naissance il était, mais des querelles de cousinage, à la mort de ses parents, l’avaient laissé presque sans rien. Il cultivait un petit jardin, en contre-bas de la montagne où il avait bâti de ses mains, une masure toute de bois et de bruyères et avait reçu, en dédommagement de son héritage fort contesté, un âne.

La bête était têtue mais brave. Chaque jour, lorsqu’il partait en quête de bois de chauffe, ou bien lorsqu’il fallait labourer, l’animal l’accompagnait, rechignant à peine à la tâche.

La forêt s’était parée de pourpre et de vermeil, à l’image des manteaux de rois, et Antonin se prenait à rêvasser, assis contre un hêtre au tronc fier, mâchonnant une brindille. L’âne paissait calmement à ses côtés, ignorant ses élucubrations. Alors s’élevait dans l’air alentour, une multitude de carrosses, de chevaux, de pourpoints rehaussés de fil d’or et de victuailles luxueuses. Antonin se disait qu’il n’avait guère de chance, mais que si la fortune venait à lui sourire, ses rêves deviendraient réalité, et il serait heureux.

La nuit tombait, il était temps de rentrer. Son compagnon charriait son lot de légumes fraîchement cueillis. Il allait falloir se montrer parcimonieux avec les choux dans les semaines à venir, car l’hiver s’annonçant, les récoltes allaient manquer… Mais il n’était pas encore temps de se restreindre et Antonin comptait bien s’endormir le ventre plein, ce soir-là.

A peine avait-il sorti son bol et son quignon de pain du tiroir de la table, qu’on frappa à la porte. C’était un colporteur.

Dans ces contrées reculées, seuls les colporteurs rendaient visite aux habitants isolés. Ils apportaient avec eux des couteaux, des petits nécessaires divers et surtout des nouvelles de la vallée. On ne les accueillait pas toujours. Parfois la pauvreté entraînait-elle l’aigrissement, et bien des portes closes avaient laissé les colporteurs affamés et transis de froid.

Mais Antonin n’était pas de ceux-là. Il ouvrit la porte et sourit. La compagnie lui manquait tellement d’ordinaire !

— Entrez, brave homme, dit-il. Je m’apprêtais à passer une soupe qui vous réchauffera les jointures !
— Vous êtes bien aimable, répondit le colporteur, étonné de ne pas se voir chassé. La charité chrétienne serait-elle toujours partie de ce monde ? s’étonna-t-il encore…
— Oh, ça la charité, je ne saurais pas bien vous dire, remarqua Antonin, mais ne fait point à autrui ce que tu ne souhaiterais que l’on te fît, ça pour sûr !

Les deux compères s’assirent à table et partagèrent le souper.

La conversation allait bon train : des dernières frasques du petit Gaillard de Fournols, à la bile de la Douce qui n’en finissait pas de noircir, que le docteur disait qu’elle ne passerait pas l’hiver…

Antonin connaissait tous ces gens dont le colporteur parlait, mais après un moment, son attention se porta sur l’escarcelle du marchand.

— Et qu’est-ce donc que vous avez-là ? Non pas que j’ai bien de sous à dépenser…
— J’ai de la dentelle, pour ces dames, du sel, des couteaux…

Tandis que le colporteur détaillait son inventaire, il déballait les marchandises sur la table. On est commerçant ou on ne l’est pas et d’aucun sait que montrer c’est vendre…

— Et ce papier c’est pour les lettres ? interrogea Antonin, à la vue d’une liasse à l’apparence insignifiante.
— Ah non, ça c’est du papier argentin.
— Du papier argentin ? Et qu’a-t-i de spécial, ce papier ? S’il n’sert point aux lettres, à quoi que c’est-y qu’i peut bien servir ? reprit Antonin, qui n’en avait jamais entendu parler.
— Aaaah, mais c’est qu’il n’est pas fait pour n’importe qui ! Seules les bonnes âmes peuvent s’en servir…
— Les bonnes âmes ? répéta Antonin intrigué.
— Je m’explique. Ce papier sert à exaucer les vœux. Mais seules les personnes qui ont du cœur peuvent en payer le prix.
— Oh bah ça du cœur j’en ai. Quant à en payer le prix, c’est une autre affaire, je suis bien trop pauvre pour me l’offrir, sans doute !

Le colporteur esquissa un sourire et continua.

— Le prix à payer n’est pas toujours celui qu’on croit… mais vous ne voulez donc pas que je vous explique comment l’on s’en sert ?
— Oh, si ça m’intéresse !
— Et bien il suffit d’écrire sur le papier ce que l’on souhaite obtenir.
— Ah bah voilà : de toute façon j’sais point écrire. Ce papier n’est donc décidemment pas pour moi !
— Vous n’avez pas besoin d’écrire de mots. Vous pouvez aussi dessiner… Le papier devinera.
— Mais c’est quel genre de choses qu’on peut obtenir ?
— Tout ce qui se peut acheter.
— Ah... C’est comme un trésor alors ?
— En quelque sorte.
— Je ne crois guère à ces choses-là, et pour l’heure, il est temps d’aller se coucher, conclut Antonin.

Les deux hommes s’installèrent sur une paillasse, entassée dans un coin de la pièce. La journée avait été fatigante, et ils s’endormirent bientôt.

A suivre