Contes et légendes d'Auvergne
Le papier argentin
Au beau milieu de la nuit, Antonin
s’éveilla, dérangé par un rayon de lune qui lui chatouillait les paupières.
Lorsqu’il comprit qu’il ne devait pas être plus de minuit, il donna un coup à
son oreiller de foin, pour l’amollir un peu et renfonça la tête dedans.
Seulement le sommeil ne revint pas. L’autre à côté ronflait comme un sonneur.
—
Doit pas bin connaître de tracas celui-là pour écraser comme un mort !
Puis il se dit que du tracas lui-même en
avait bien, mais c’était son quotidien, alors pourquoi diable ne dormait-il
point ?
Dans l’âtre les braises rougeoyaient hardiment.
Les flammes s’étaient étouffées et pourtant la lumière qui émanait du cantou
semblait plus vivace encore… Elle enveloppait le barda du colporteur d’une
lueur intense, comme la confiture qui cuit dans le chaudron de cuivre, si bien
qu’Antonin fut pris, dans son ennui, de l’envie d’y toucher.
A peine avait-il effleuré le sac que le
papier tomba.
—
Ce n’est pas pour moi ces affaires-là…
Et tout en se répétant la leçon, il regarda
ses mains saisir le papier et l’approcher de son visage.
—
Pis qu’est que ça coûte d’essayer ? C’est qu’i m’a dit qu’j’pouvais. Pis i
dort de toute façon. Si ça marche pas, je pourrai pas avoir honte.
Antonin ne savait pas écrire, ni dessiner
non plus, mais il avait de la jugeote. Il tira de sa poche un sou, attrapa un
morceau de bois carbonisé dans la cheminée et le frotta sur la pièce. Puis avec
une certaine force, il appuya la silhouette du sou sur le papier et attendit.
Rien. Une heure, puis deux. Un bâillement lui indiqua que le sommeil revenait.
—
C’était sûr. C’est des attrape-nigauds, ces cajoleries-là.
Il regagna sa paillasse et s’endormit pour
de bon.
Au matin, Antonin se réveilla groggy. Il
avait dormi plus que de mesure. Dehors, Modeste son âne râlait : on ne lui
avait pas encore amené sa ration.
Il
se leva machinalement puis réalisa soudain que la pièce était vide : pas
trace de colporteur ni de sa marchandise. Seule une feuille de papier sur la
table était restée.
—
Le bonhomme n’aura pas voulu me réveiller, se dit-il en se dirigeant vers
Modeste.
L’âne braya de plus belle.
—
Ça vient ça vient ! Bah mon gars, je t’ai rarement vu tant de mauvais de
poil ! Qu’est que c’est-y qu’on t’a mis là ?
En s’approchant, Antonin avait remarqué
que Modeste était affublé de deux sacoches, qui ne lui appartenaient pas.
Curieux, il ouvrit la première et la referma aussitôt effrayé.
—
Nom di Diou ! s’exclama-t-il.
La première sacoche était remplie de sous.
La seconde aussi. Car une fois la surprise passée, Antonin l’avait ouverte
vaillamment.
—
C’est que ma v’là riche à présent ! Mais alors ce s’rait qu’i marcherait
ce papier finalement.
Se frottant les mains, Antonin se trouva
ravi qu’une feuille ait été oubliée sur sa table…